Le 13 septembre 1928 la Guadeloupe se réveille. Le calme succède à l’horreur. Le plus fort cyclone jamais enregistré sur l’île s’éloigne. Okeechobee a fait entre 1500 et 2000 morts. Pointe-à-Pitre est détruite, le Lamentin, Morne-à-L’eau pour ainsi dire n’existent plus… C’est une désolation sans fin. Les photographies de l’époque nous montrent un paysage de ruines. On dirait Verdun en 1918.
Le bilan humain et matériel est considérable, pour ainsi dire catastrophique.
La France, à travers son ministère des colonies dont la Guadeloupe dépend encore, lance très vite le chantier de la reconstruction. Du moins en ce qui concerne les bâtiments lui appartenant. En avril 1929 elle signe avec un certain Ali Tur, architecte, un contrat visant la reconstruction de toutes les structures officielles de l’île.
Ali Tur. Un nom aux consonances étranges. Aux origines mystérieuses… qui parfois lui joueront du tort dans l’atmosphère nationaliste de l’entre-deux guerres. Ce prénom, Ali, pourtant il le doit au seul fait d’être né un peu par hasard à Tunis de parents français qui faisaient là preuve d’ouverture d’esprit.
Eduqué dans un des meilleurs ateliers de l’école nationale des Beaux-Arts de Paris, celui de Victor Laloux, architecte avide de modernité qui lui enseignera la science encore balbutiante du béton, Ali Tur épouse totalement, mais avec goût et retenue, les possibilités étonnantes apportées par ce matériau révolutionnaire.
Envoyé en Guadeloupe de 1929 à 1938 Ali Tur reconstruira non pas seulement les bâtiments de l’état mais par la suite il sera commissionné par les communes pour rebâtir leurs infrastructures défoncées. En tout c’est plus d’une centaine de bâtiments de tout ordre et fonction que l’architecte fait sortir du sol. Eglises, mairies, centre d’impôts, écoles, gendarmeries, bureau de poste, halles de marché, presbytères, etc. le travail ne manque pas et permet à Ali Tur de donner un visage moderne à l’île. Des générations de guadeloupéens vivront désormais dans un paysage marqué par l’empreinte de ce style pour toujours associé aux années 30 et qu’on appelle Art Déco.
C’est sur cet épisode si marquant que cette exposition veut jeter un peu de lumière. A l’heure où malheureusement ce patrimoine unique est menacé par la dégradation progressive et le manque d’entretien il est plus que jamais urgent de montrer l’incroyable qualité du travail mené par un homme seul qui, avec retenue et humanisme, a su panser les plaies d’un territoire meurtri en lui donnant un visage moderne.
C’est grâce à l’excellent travail de Mme Michèle Robin-Clerc, architecte D.P.L.G., native de Guadeloupe, auteure de l’ouvrage de référence sur Ali Tur (Ali Tur, l’architecte d’une reconstruction, 2015) que cette exposition est possible. Tous les amoureux de l’architecture en général et du patrimoine guadeloupéen en particulier lui sont redevables de nous l’avoir fait découvrir. Qu’elle en soit ici sincèrement remerciée.